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Comment la PME italienne Rold a réussi sa transition numérique à moindre coût



Grâce à des partenariats avec des universités et des fournisseurs de solutions, la PME milanaise Rold a conçu une plate-forme de collecte des données en limitant ses investissements. Un challenge salué par le Forum économique mondial.

Comme chaque matin, Roberto Colombo, le directeur de production, commence par allumer son ordinateur pour vérifier les chiffres de la nuit. Son entreprise, Rold Elettrotecnica, implantée au nord de Milan, fabrique des verrous de sécurité de porte de machines à laver pour le compte de constructeurs comme Bosch, Whirlpool et Electrolux. Il y a encore un an, ce contrôle, qui lui semble aujourd’hui si banal, était pourtant beaucoup plus fastidieux. "Notre activité est répartie sur trois sites distants de quelques kilomètres les uns des autres. Par le passé, je devais appeler tous les managers pour leur demander où en était la fabrication et s’il y avait eu des incidents", se souvient-il. Désormais, un simple coup d’œil sur son écran ou sa montre connectée l’informe de la situation. "De fait, Roberto ne nous contacte plus pour connaître l’avancement des commandes, mais pour savoir pourquoi les objectifs ne sont pas atteints ou quel est le problème sur telle machine. Nous allons à l’essentiel ", complète Davide Borsani, le responsable du site de Cerro Maggiore, qui réalise l’assemblage final des verrous, avec 40 opérateurs.


En effet, depuis 2016, Rold s’est lancé dans le déploiement d’une plate-forme de collecte de données en temps réel, baptisée SmartFab. À ce jour, sur les 100 machines du parc, 63 sont connectées. Avec une particularité : tout a été développé en interne, hardware comme software. Un challenge pour cette PME de 240 employés qui avait des connaissances basiques en informatique.


Lorsque l’équipe chargée de la transition numérique est créée en 2013, elle ne compte que deux ingénieurs en électronique et en télécommunications. Actuellement, même après des embauches, elle se cantonne à six personnes.


Une réussite saluée par le Forum économique mondial de Davos. Après avoir audité 1 000 candidats à la recherche de sites phares de l’industrie 4.0, l’organisation en a sélectionné seize particulièrement exemplaires, dont Rold aux côtés de géants comme Schneider Electric, Tata Steel et Procter & Gamble. "La société a su démontrer que l’industrie 4.0 est possible même avec des investissements limités, en utilisant des technologies "sur l’étagère" et grâce à des partenariats avec des fournisseurs de technologies et des universités", argumente ainsi le Forum de Davos dans son compte rendu publié en janvier 2019.


Une nécessité pour répondre à la demande


Pour l’entreprise, le tournant opéré avec sa plate-forme SmartFab était devenu une nécessité. Parce qu’elle avait des difficultés à répondre à l’augmentation de la demande, dépassant ses capacités. Et une faible marge par produit. "Nous produisons annuellement 50 millions de composants, pour un chiffre d’affaires d’environ 40 millions d’euros", précise Luca Cremona, responsable industriel chargé de l’industrie 4.0. Pour lutter contre la pression sur les prix exercée par ses concurrents, une stratégie de différenciation exigeait une augmentation de la productivité et un contrôle strict des coûts. Or, avant la transformation numérique, les chiffres de production étaient retranscrits chaque jour manuellement, une source d’erreurs, mais aussi une perte de temps et d’argent. La faible visibilité sur les indicateurs, qui n’étaient pas centralisés dans le système informatique, limitait également la prise de décision.


"Dès 2014, nous avons compilé tout ce dont nous avions besoin pour créer une solution adaptée", raconte Roberto Colombo. Compte tenu des faibles ressources en RH et en formation, elle devait être évolutive et facilement accessible pour les opérateurs. Ils ont ainsi été associés pour éprouver l’intuitivité des fonctionnalités à toutes les étapes de la R & D.


Enfin, pour accélérer la montée en échelle, la méthodologie n’a pas été fondée sur des cycles itératifs classiques, mais sur la méthode ReRo (Release early, release often : vite testé, vite modifié), jugée plus agile, car permettant "d’expérienter" rapidement les logiciels en conditions réelles. "À partir de ces critères, nous avons commencé par la conception d’un système suffisamment ouvert pour communiquer avec n’importe quelle machine", détaille Luca Cremona. L’indicateur principal choisi est le taux de rendement synthétique (Overall equipment effectiveness, OEE). "Se calculant à partir de la disponibilité des machines, de leur performance et de la qualité, c’est un bon indice pour mesurer le degré d’efficacité d’un parc d’équipements", précise le responsable industriel.


Des données disponibles partout


Pour cela, les données physiques sont récoltées en réaménageant les machines de deux manières, en fonction de leur génération. "On regarde d’abord le type de connectique disponible. Sur les équipements les plus anciens, sans terminal PLC (Program logic controller), on peut extrapoler à partir du signal électrique un premier niveau d’informations sur leur état de fonctionnement", constate Luca Cremona. Sur le site de Nerviano, c’est encore le cas des 26 machines d’injection plastique Arburg. "Ensuite, si l’installation possède une interface de commande numérique PLC, comme sur nos robots d’assemblage plus récents, on se connecte directement en plug and play pour obtenir des indications plus fines comme le nombre de pièces rejetées, la consommation d’air sous pression ou d’énergie…", poursuit Luca Cremona. Pour récupérer l’intégralité du volume de data, un système local d’edge computing a été privilégié. Autrement dit, la transmission se fait d’abord physiquement par câble ethernet entre la machine et le moniteur SmartFab, puis les paquets sont transmis par Wi-Fi au MES (Manufacturing execution system) toutes les 30 secondes.


Si Rold a voulu conserver cette chaîne de valorisation, de l’extraction à la visualisation des données, c’est aussi pour une question de coût. "Que ce soit dans le hardware ou les logiciels, beaucoup d’offres dédiées aux industriels ne sont pas abordables pour une PME, estime Luca Cremona. Elles sont aussi parfois trop complexes par rapport à nos besoins ou fonctionnent avec des systèmes propriétaires." Pour autant, cela ne l’empêche pas de nouer des partenariats stratégiques avec des fournisseurs. Pour la construction du tableau de bord sur mesure, Rold a par exemple fait appel à Microsoft et son outil de visualisation Power BI. Par ailleurs, les dispositifs mobiles (écrans, tablettes, smartphones et smartwatchs) sont issus des gammes grand public de Samsung.


Toute l’information, présentée sous forme de graphiques très visuels, est disponible à n’importe quel endroit de l’usine. Les moniteurs affichent les données au plus près des machines, tandis que les écrans géants de 55 pouces, installés au centre de chaque halle de production, servent aux réunions.


Les alertes arrivent directement sur les montres connectées des managers. Ce jour-là, une alarme signale que l’une des machines présente une anomalie avec un taux de rendement de seulement 50 %. "Ce chiffre indique la performance, explique Luca Cremona installé devant son poste de travail. Quand on clique sur l’indicateur, on s’aperçoit que sur l’objectif de 1 400 pièces par heure, la machine n’en produit en réalité que 830. Il y a donc une défaillance. En observant la courbe de comportement et la fréquence des arrêts, l’opérateur ou le service qualité peut déduire la cause du problème et où il doit intervenir."


Une planification fluidifiée


La possibilité de renseigner dans le système les ajustements ou les motifs d’arrêt et de ralentissement, qu’ils soient programmés ou accidentels, améliore aussi la communication entre les opérateurs et l’objectivité des prises de décisions. Autre avantage : le logiciel a fluidifié la planification. "On peut voir à quelle heure est prévue la fin du cycle d’assemblage pour préparer en amont la commande suivante, décrit Alessandro Mora, opérateur sur le site de Cerro Maggiore, qui a bénéficié d’une formation de quatre heures pour prendre le système en main. Toute la programmation est automatiquement entrée dans le système. Comme nous n’avons plus rien à entrer manuellement, nous avons davantage de temps pour nous concentrer sur l’optimisation des machines."


Enfin, un verrou de machine à laver étant composé de 20 pièces détachées différentes, la logistique sait en temps réel quel matériel livrer ou encore quand récupérer les produits finis pour expédition, et ce, sans avoir à en référer au département production. Résultat, entre 2016 et 2017, le nombre de verrous fabriqués à effectif et équipement constants a augmenté de 282 000 pièces, soit un gain sur le chiffre d’affaires d’environ 400 000 euros. Sur cette même période, le taux de rendement synthétique – un indicateur qui permet d’obtenir une vision de l’efficience des outils et des procédés de production – a augmenté de 11 %.


Souhaitant tirer parti de cette progression et profiter de ses nouvelles compétences en informatique, Rold commercialise en parallèle SmartFab depuis 2017. L’entreprise le voit comme une "solution clés en main" de l’industrie 4.0 ciblant en priorité les PME qui, comme elle, ont des moyens limités. En deux ans, 180 machines installées dans les domaines de l’équipement de la maison, de la pharmacie et de la mécanique ont été connectées. Cette nouvelle activité, que Rold compte développer, ne représente qu’un peu moins de 1 % de son chiffre d’affaires. Prochaine étape, convaincre les PME connectées de la migration de SmartFab sur la plate-forme de cloud hybride Azure de Microsoft. "Pour l’heure, nous stockons sur des serveurs physiques et on observe un certain scepticisme de la part de nos clients à passer dans le cloud, regrette Luca Cremona. Pourtant, en termes de flexibilité, de capacités et de portabilité des applications, cela offre d’énormes possibilités." Reste à son équipe à déterminer les données les plus appropriées, par exemple celles liées à la sécurité ou à la gestion de l’énergie, qui migreront et à synchroniser les deux systèmes. En effet, si SmartFab collecte des relevés physiques toutes les millisecondes, il n’est pas nécessaire de surcharger le cloud en répliquant la moindre alarme ou indice de performance. Un nouveau défi pour ce petit fabricant bien décidé à se diversifier pour profiter de l’engouement croissant des PME pour l’industrie du futur.


La vraie bonne idée

Pour comprimer les coûts, Rold a noué un partenariat avec la firme Samsung qui lui fournit des dispositifs mobiles destinés à l’origine au grand public, comme les écrans, les moniteurs Smart Signage et la smartwatch Gear S2. "Le prix est de 50 à 70 % inférieur à celui des équipements 100 % industriels, d’autant que nous choisissons des générations antérieures, car nous n’avons pas besoin de matériel particulièrement robuste", souligne Luca Cremona, le responsable industriel de Rold. Ces équipements offrent également d’autres avantages selon lui : ils peuvent être installés rapidement et sont aussi plus faciles à utiliser par les opérateurs.


« Les partenariats avec les universités nous permettent d’avancer plus vite », selon Luca Cremona, responsable industriel


Vous avez noué des partenariats avec sept universités en Italie et en Russie, ce qui est étonnant pour une PME. Quelle en est la raison ?


Rold ne dispose que d’une petite équipe digitale. Quand nous avons commencé le travail sur notre plate-forme SmartFab, en 2014, ils n’étaient que deux ingénieurs en télécommunications et en électronique. Aujourd’hui, nous sommes six, ce qui est encore peu, car nous devons nous occuper de l’élaboration des fonctionnalités, mais aussi du déploiement chez les clients depuis que SmartFab a été lancée sur le marché. Nous avions donc besoin de définir des priorités et d’externaliser certains projets de recherche.


Comment fonctionnent ces partenariats ?


C’est un système gagnant-gagnant. D’un côté, plusieurs ingénieurs de Rold dispensent des cours, ce qui permet aux universités d’enseigner l’état de l’art de la technologie en matière de numérisation et d’automatisation. De l’autre, cela nous donne l’opportunité de repérer les étudiants avant qu’ils n’entrent sur le marché du travail. Dans le cadre de stages, de durées différentes en fonction des sujets et des universités, ils testent les cas pratiques que nous avons identifiés.


Pouvez-vous donner quelques exemples ?


Il y a quelques semaines, nous avons démarré une étude associant l’intelligence artificielle et la reconnaissance d’images. L’idée est d’imaginer une caméra qui permettrait de détecter d’infimes vibrations dans une machine, invisibles à l’œil nu, pour améliorer la maintenance préventive. Avec l’université Liuc de Carlo-Cattaneo, nous travaillons sur la réalité augmentée, pour consulter les performances d’une machine à partir d’un simple QR code. Récemment, nous avons terminé un essai d’utilisation des jumeaux numériques dans les activités de vente. Travailler avec des universités nous permet ainsi d’étendre notre champ de compétences et de trouver de nouvelles idées. Grâce à cela, nous pouvons mettre en œuvre nos projets plus rapidement.



Ce qu’il faut retenir

  • Combiner développement interne et solutions « sur l’étagère » pour déployer une technologie à moindre coût.

  • S’entourer d’un écosystème de fournisseurs et d’universités pour élargir les thèmes de recherche.

  • Ne pas hésiter à choisir des produits grand public, si nécessaire de générations antérieures, et les adapter à ses besoins.

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